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À la croisée des urgences environnementales méditerranéennes

Entretien avec Robin Degron, gardien de la Grande Bleue

Interview réalisée par Mabrouka Khedir / Cosmos Media

À l’issue du Sommet des Océans tenu à Nice, nous avons parlé avec Robin Degron, Directeur du Plan Bleu, agence spécialisée de l’ONU sur l’environnement en Méditerranée.

Avec une expertise reconnue en écologie, gouvernance environnementale et développement durable, M. Degron livre un diagnostic sans concession sur l’état fragile de la Méditerranée, menacée par le réchauffement climatique accéléré, la pollution plastique, la surpêche industrielle et la perte de biodiversité.

Il partage aussi les avancées consensuelles et les pistes d’action concrètes pour conjuguer protection des écosystèmes et développement socio-économique durable dans ce bassin stratégique.

Journaliste : Robin Degron, à l’issue du Sommet des Océans à Nice, pouvez-vous nous expliquer quelle est l’importance particulière de la Méditerranée dans la protection globale des océans à l’horizon 2030 ?

Robin Degron : La Méditerranée ne représente qu’environ 1% de la surface maritime mondiale, mais c’est un véritable joyau en termes de biodiversité. Elle concentre près de 8% de la diversité faunistique marine et 18% de la diversité floristique marine au niveau mondial. Ce bassin est donc une zone d’une richesse exceptionnelle, ce qui fait de sa protection un enjeu majeur.

Les principales menaces pèsent sur cette biodiversité unique : la surpêche, notamment par la pêche industrielle destructrice comme le chalutage de fond, la pollution plastique omniprésente, et le réchauffement climatique qui fragilise profondément les écosystèmes, bien que nous ayons peu de leviers directs pour l’infléchir localement.

Avec Robert Calcagno de l’Institut Océanographique de Monaco, nous défendons l’idée de faire de la Méditerranée un sanctuaire de biodiversité, ce qui implique des réglementations plus strictes. Par exemple, limiter voire interdire le chalutage industriel de fond, qui détruit à la fois les fonds marins et menace les pêcheries artisanales – un impératif écologique mais aussi social.

Par ailleurs, la protection des grands cétacés impose de réduire la vitesse des gros navires dans cette mer très fréquentée, un sujet relevant de l’Organisation Maritime Internationale.

Enfin, il faut étendre les aires marines protégées, surtout littorales, et mieux gérer les effets collatéraux, comme la pollution liée à la désalinisation des eaux côtières.

Journaliste : Comment le Plan Bleu accompagne-t-il les États riverains pour relever ces défis ?

Robin Degron : Le Plan Bleu a un rôle clé comme agence spécialisée de l’ONU pour l’environnement en Méditerranée. Nous sommes à la fois observateur et collecteur de données sur l’état de la mer, ce qui permet un suivi rigoureux.

Nous épaulons les États à travers une stratégie méditerranéenne de développement durable, discutée récemment lors de la Commission Méditerranéenne de développement durable à Corinthe, et en vue d’une validation prochaine lors de la COP 24 de la Convention de Barcelone.

Notre mission est d’aider à la cohérence des politiques publiques régionales, d’encourager leur adoption au niveau national et local, et de faciliter la coordination dans le bassin méditerranéen. Ce cadre est essentiel pour harmoniser les efforts en faveur de la conservation et du développement durable.

Journaliste : Quel a été le rôle de la Conférence des Nations Unies sur l’Océan (UNOC) à Nice dans la protection de la biodiversité, notamment en Méditerranée ?

Robin Degron : L’UNOC a d’abord une portée mondiale, visant à rassembler États, scientifiques et société civile pour accélérer la protection des océans. Un de ses grands acquis est la ratification du traité BBNJ, qui vise à réglementer et protéger les zones marines au-delà des juridictions nationales – souvent qualifiées de « Far West » pour avoir longtemps été non régulées.

Cela concerne peu directement la Méditerranée, qui est une mer fermée avec presque toutes ses zones sous juridiction des 21 États riverains.

En revanche, l’UNOC a mis en lumière les impacts du changement climatique sur les littoraux méditerranéens, avec la montée du niveau de la mer. Une avancée concrète pour notre région a été la création d’une coalition des villes côtières, permettant aux maires de s’unir pour défendre leurs intérêts et élaborer des solutions au niveau international. Cette dynamique régionale est prometteuse.

Journaliste : La pêche, activité économique majeure, bute souvent sur les impératifs de préservation marine. Comment concilier ces enjeux apparemment contradictoires ?

Robin Degron : La distinction entre types de pêche est essentielle. La pêche industrielle au chalut de fond est particulièrement destructrice : elle ravage les fonds marins et épuise les stocks, au détriment des pêcheurs artisanaux locaux. Ces grands bateaux viennent souvent de loin, notamment pour exploiter des zones comme celles de Tunisie, et font concurrence aux pêcheries traditionnelles, ce qui est une double pression.

Il est indispensable de limiter cette pêche industrielle pour protéger la biodiversité mais aussi pour assurer la viabilité économique des pêcheries artisanales.

Notre objectif n’est donc pas d’opposer pêche et conservation, mais de promouvoir une pêche artisanale durable, qui s’inscrit dans une stratégie plus large de gestion durable des ressources marines. C’est là un véritable défi de développement durable.

Cette interview dévoile ainsi les priorités et les pistes d’action essentielles pour la Méditerranée, au cœur d’une dynamique internationale renforcée par le Sommet des Océans de Nice et portée par des acteurs engagés tels que le Plan Bleu et ses partenaires.

Journaliste : Comment le sommet de Nice a-t-il renforcé la coopération régionale pour la protection marine en Méditerranée

Robin Degron : Le Sommet des Océans de Nice a significativement renforcé la coopération régionale pour la protection marine en Méditerranée à travers plusieurs dispositifs clés.

D’abord, lors de la « Journée de la Méditerranée » organisée au sommet, les pays riverains ont adopté une déclaration ministérielle commune qui réaffirme leur engagement à préserver la Méditerranée, une mer particulièrement vulnérable au changement climatique, à la pollution plastique et à la surpêche. Cette déclaration symbolise une volonté claire de coordination renforcée entre États méditerranéens au niveau politique, scientifique et de la société civile.

Ensuite, le sommet a mis en avant l’importance des Conventions régionales, sous l’égide du PNUE, qui amplifient leur dialogue avec les organisations de gestion de la pêche, afin de créer des synergies entre enjeux environnementaux et économiques dans la région. Ce travail transversal est crucial pour concilier la protection des écosystèmes marins et le développement durable des pêches artisanales.

Une autre avancée majeure est la création et le lancement officiel, lors du sommet, d’une coalition internationale des villes et régions côtières, présidée par le maire de Nice. Cette coalition vise à renforcer la résilience des territoires méditerranéens face à l’élévation du niveau de la mer et au changement climatique, en facilitant la coopération, l’échange de savoir-faire, et l’accès aux financements adaptés.

Enfin, à l’échelle globale, l’accélération de la ratification du traité international BBNJ à Nice, même si ce traité concerne surtout la haute mer, renforce la diplomatie des océans et invite la Méditerranée à s’inscrire dans cette dynamique globale de gouvernance marine protectrice et coordonnée.

Le processus de ratification du Traité BBNJ témoigne d’une avancée remarquable dans la coopération internationale pour la protection des océans. Alors que la Convention de Montego Bay de 1984 a mis près de 15 ans avant d’entrer en vigueur, le Traité BBNJ, bien que non encore formellement ratifié à Nice, a déjà réuni un nombre suffisant de promesses de ratification pour envisager son adoption officielle d’ici la prochaine Assemblée générale des Nations Unies en septembre. Ce rythme accéléré reflète une prise de conscience croissante des enjeux liés à la gouvernance des zones marines au-delà des juridictions nationales et souligne l’importance accordée à une gestion durable des ressources océaniques à l’échelle mondiale.

Ainsi, le Sommet de Nice a permis d’intensifier la coopération régionale en Méditerranée en conjuguant volonté politique partagée, coordination scientifique, alliances territoriales solides et intégration dans les cadres internationaux, répondant ainsi aux défis complexes auxquels est confrontée cette mer méditerranéenne en alerte rouge.

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