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Former les journalistes, renforcer les citoyens

à Addis-Abeba, l’Afrique s’organise pour l’agriculture

Cosmos Media participe, écoute et raconte depuis le cœur du continent/Reportage de Saoussen Ben Cheikh

Une formation panafricaine des journalistes pour renforcer la résilience climatique
Bridget Mugambe, coordinatrice des programmes à l’AFSA

Dans un contexte de changement environnemental accéléré – sécheresses, perte de biodiversité et insécurité alimentaire… – l’Afrique se mobilise et s’organise.

Du 21 au 22 juillet 2025, l’Alliance pour la Souveraineté Alimentaire en Afrique (AFSA) a réuni à Addis-Abeba une vingtaine de journalistes venus de tout le continent. L’objectif est de renforcer la résilience des citoyens par l’information, en valorisant les savoirs agricoles locaux et en positionnant l’agroécologie comme une alternative durable, équitable et souveraine aux systèmes agricoles industriels dominants.

L’équipe a mis en lumière les défis structurels auxquels sont confrontés les agriculteurs tunisiens : stress hydrique aggravé par le changement climatique, érosion des terres, disparition progressive des semences paysannes locales, et pression croissante d’un modèle agricole orienté vers l’exportation, souvent aux dépens de la souveraineté alimentaire nationale.

Mais au-delà du constat, Cosmos Media a plaidé pour un journalisme de solutions, en valorisant les réponses locales et porteuses d’espoir, conçues et mises en œuvre par les agriculteurs eux-mêmes : diversification des cultures, préservation des savoirs ancestraux, entraide communautaire, gestion durable des ressources hydriques, et mise en réseau des initiatives rurales…

Des défis propres à la Tunisie, certes, mais représentatifs de réalités partagées à travers le continent, de l’Afrique de l’Ouest à l’Afrique australe. « Nous avons pu voir à quel point nos problématiques sont communes, malgré nos contextes différents », a commenté un participant son interview avec Cosmos Media avant de rajouter. « Et c’est en les connectant à l’échelle continentale, en favorisant l’échange, la mutualisation et la co-construction, que nous pourrons faire émerger une stratégie africaine de résilience agroécologique, portée par les communautés et amplifiée par les médias. »

Une urgence : renforcer l’information environnementale

Face à l’urgence écologique, le rôle des médias ne peut plus se limiter à rapporter des faits bruts ou à relayer des chiffres alarmants. Il devient essentiel de contextualiser les phénomènes, de donner la parole aux communautés concernées, et surtout, de mettre en lumière les solutions concrètes qui émergent du terrain.

Loin d’un traitement sensationnaliste ou ponctuel, le journalisme environnemental doit aujourd’hui adopter une approche systémique, engagée et ancrée. Une approche qui relie les enjeux climatiques à la justice sociale, à la souveraineté alimentaire, et à la résilience des écosystèmes humains et naturels.

Bridget Mugambe, coordinatrice des programmes à l’AFSA

Comme l’a souligné Bridget Mugambe, coordinatrice des programmes à l’AFSA  pour Cosmos Media: « L’agroécologie et les marchés territoriaux sont trop souvent absents des médias. Pourtant, ils sont essentiels à la santé, à la justice sociale, et à l’autonomie des peuples africains. »

Cette absence fragilise non seulement la visibilité de ces alternatives, mais ralentit aussi leur reconnaissance comme leviers réels de transition écologique et sociale. D’où l’importance, aujourd’hui, de former des journalistes capables de décrypter les enjeux complexes de l’environnement, d’explorer les récits de résilience, et de donner la parole à ceux qui cultivent l’avenir au quotidien.

Accompagner les journalistes par une approche écosystémique : entre salle de classe et terrain

Pour renforcer l’information environnementale, il faut construire une véritable approche de travail collective en écosystème, mêlant formation théorique, immersion pratique, échange entre pairs, et mise en réseau des acteurs.

C’est dans cet esprit que s’est déroulée la formation organisée par l’AFSA, en deux temps forts complémentaires.

En salle : un espace de co-apprentissage et de déconstruction des récits

La première phase s’est tenue en salle, dans une atmosphère de co-apprentissage dynamique. Les journalistes venus de tout le continent — du Togo à l’Ouganda, en passant par la Zambie, le Ghana ou encore la Tanzanie — ont échangé avec des experts sur les fondements de l’agroécologie : biodiversité, justice sociale, souveraineté alimentaire, participation communautaire…

Ils ont notamment exploré les 13 principes de l’agroécologie, incluant la santé des sols, l’économie solidaire, l’accès équitable aux ressources naturelles et la co-production de savoirs. Ces échanges ont permis de déconstruire les récits agricoles dominants, souvent dictés par des logiques industrielles ou extractives, et d’ouvrir la voie à de nouvelles narrations enracinées, inclusives et porteuses d’avenir.

Sur le terrain : reconnecter le journalisme à la réalité des communautés rurales

Mais c’est sur le terrain que la formation a pris toute sa force. Dans les campagnes éthiopiennes, les journalistes ont vécu une immersion auprès d’agriculteurs locaux, producteurs de café, d’avocats, de papayes ou encore de piments. Ensemble, ils ont observé les réalités du changement climatique : sécheresse, instabilité des saisons, défis d’irrigation, mais aussi les stratégies d’adaptation ingénieuses mises en œuvre.

Ils ont découvert des techniques locales de stockage de l’eau, observé comment la diversification des cultures devient un levier de survie, et surtout, écouté les récits de résistance portés par les communautés rurales, trop souvent invisibles dans les médias traditionnels.

Une immersion authentique, qui a permis aux journalistes de reconnecter leur pratique aux réalités du terrain, en redonnant toute sa valeur au témoignage direct et à l’écoute active.

Accompagner la transition écologique nécessite un journalisme plus outillé, plus rigoureux, et profondément ancré dans les contextes locaux. Cela passe par des formations continues, des espaces d’échange entre pairs, des immersions de terrain, mais aussi par la mise en réseau des médias africains. « Car les défis environnementaux ne connaissent pas de frontières : ils sont globaux dans leurs causes, locaux dans leurs manifestations. Et pour les couvrir efficacement, il faut construire des ponts à l’échelle du continent, mutualiser les ressources, et favoriser la production éditoriale transfrontalière » comme l’a souligné une représentante de l’AFSA.

Vers un réseau africain de journalistes environnementaux

Au-delà de la formation, cette rencontre a surtout permis de tisser des liens solides entre journalistes africains, venus de contextes différents mais confrontés à des défis similaires. Une prise de conscience collective a émergé : face à une crise climatique partagée, le travail en silo ne suffit plus.

Il est devenu urgent de donner aux journalistes les moyens de collaborer durablement : en multipliant les rencontres, en facilitant les échanges de connaissances, et en encourageant des productions éditoriales transfrontalières, capables de refléter la réalité d’un écosystème agricole africain interdépendant.

Car l’agriculture, les forêts, les sols, l’eau et les traditions agroécologiques dépassent les frontières politiques. Les solutions sont souvent locales, mais leur partage peut être continental, pour renforcer mutuellement les efforts de résilience et d’adaptation.

Dans cette vision, Cosmos Media milite activement pour la création d’un réseau afro-africain de journalistes environnementaux : un réseau d’échange, de collaboration éditoriale et de mutualisation des ressources, capable de raconter les récits africains avec une voix africaine,
loin des clichés.

Un réseau pour faire entendre les résistances, les solutions et les espoirs des communautés, dans leur langue, à partir de leur réalité, et pour leur avenir.

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