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Taxe carbone en Tunisie : Quel impact sur la transition écologique ?

 

La taxe carbone est souvent présentée comme l’outil miracle de la transition écologique.

En théorie, elle repose sur une logique simple : faire payer au pollueur le coût environnemental de ses émissions, afin de l’inciter à modifier ses comportements et à investir dans des technologies plus propres. Il s’agit donc d’un impôt dit pigouvien, conçu pour corriger une externalité négative et aligner les choix privés sur l’intérêt général.

Le principe : dissuader, pas taxer

L’efficacité d’une taxe carbone dépend de sa capacité à modifier les comportements. En frappant les énergies fossiles, elle doit encourager la sobriété énergétique et la bascule vers les énergies renouvelables. Dans les pays qui l’ont mise en œuvre de manière crédible, comme la Suède, la taxe dépasse aujourd’hui 100 euros par tonne de CO₂, et elle a accompagné une baisse significative des émissions sans freiner la croissance.

Mais ce principe n’est valable que dans un environnement économique compétitif et transparent. Dans un marché où les entreprises ne subissent aucune concurrence réelle, où les rentes dominent et où les alternatives énergétiques restent limitées, la taxe carbone perd sa vocation écologique. Les entreprises se contentent de répercuter la taxe sur leurs prix de vente, et ce sont les consommateurs — ménages et petites entreprises — qui en supportent la charge. La taxe cesse d’être un outil de transition et devient un impôt de consommation déguisé.

Le cas tunisien : l’article 51 de la Loi de finances 2024

C’est dans ce contexte que s’inscrit l’article 51 de la Loi de finances 2024, intitulé « Suivi de l’évolution internationale pour la mise en place et la généralisation de la taxe carbone ». L’intitulé est ambitieux : il laisse entendre que la Tunisie s’aligne sur les standards internationaux et se dote d’un instrument moderne de fiscalité écologique.

En pratique, la mesure consiste à augmenter des prélèvements déjà en place, se traduit par de faibles prélèvements sur les produits énergétiques consommés : 5 millimes par litre d’essence ou de gasoil, 10 millimes pour le gasoil 50, 5 dinars par tonne de fuel, de gaz de pétrole liquéfié, et jusqu’à 10 dinars pour le coke de pétrole. Le gaz naturel est taxé à 1,25 millime par unité thermique et l’électricité à 5 millimes par kilowattheure. Par ailleurs, la taxe sur les billets d’avion et de voyages maritimes est relevée à 40 dinars (60 dinars en première classe et en classe affaires).

Une taxe carbone… sans effet carbone

A y regarder de près, les montants fixés sont symboliques. A 5 millimes par litre, la hausse est imperceptible à la pompe et ne modifie en rien le comportement des automobilistes. Les grandes entreprises consommatrices de fuel ou de gaz n’ont aucun intérêt à investir dans des procédés plus propres : l’impact financier est trop faible. Quant à la taxe sur les billets d’avion, elle relève davantage d’une logique de rendement budgétaire que d’un outil de réduction des émissions.

Plus encore, cette taxation des produits énergétiques et des billets d’avion revient en réalité à taxer directement le consommateur. Celui-ci paie une surtaxe sur sa propre consommation d’essence, d’électricité ou de gaz, ainsi que sur ses voyages. Mais il paie aussi indirectement la taxe supportée par les entreprises, qui la répercutent sur les prix des biens et services.

Par un effet de ricochet, même l’Etat — premier consommateur d’énergie à travers ses administrations et ses entreprises publiques — voit son budget alourdi par cette taxe. Autrement dit, la charge est redistribuée à travers toute la chaîne économique et finit par peser simultanément sur le citoyen et sur les finances publiques.

Les effets pervers d’un mauvais design

Dans ce schéma, le risque est double. D’un côté, les entreprises polluantes continuent à fonctionner sans contrainte réelle, en préservant leurs marges.

De l’autre, les ménages et l’Etat voient leurs factures augmentées, sans pouvoir accéder à des alternatives énergétiques crédibles. Le caractère socialement injuste de la taxe est renforcé : ce sont les plus modestes qui paient, là où les pollueurs continuent à profiter de leurs rentes.

Une taxe carbone conçue de cette manière ne génère ni incitation écologique, ni équité sociale. Elle fragilise la crédibilité de la fiscalité écologique en la réduisant à une «taxe de plus», perçue comme injuste et stérile.

La condition de l’efficacité : un modèle économique qui valorise l’écologie

Une taxe carbone ne peut remplir sa mission que si elle s’inscrit dans un modèle économique où le respect de l’environnement est aussi un facteur de compétitivité. Cela suppose :

De récompenser les entreprises vertueuses par des allégements fiscaux, un accès facilité au financement et une priorité dans les marchés publics ;

D’offrir aux consommateurs des alternatives réelles : transports publics fiables, logements avec une meilleure isolation thermique, énergie renouvelable accessible ;

De redistribuer les recettes de la taxe pour compenser les ménages modestes et éviter une fracture sociale ;

De renforcer la concurrence loyale, afin que l’innovation verte soit valorisée et que les rentes polluantes soient progressivement érodées.

Sans ce modèle de soutien et de transformation, la taxe carbone reste une coquille vide.

Elle ne punit pas le pollueur, elle ne finance pas la transition de manière transparente et elle n’offre aucun signal crédible.

Conclusion : entre ambition et illusion

L’article 51 de la Loi de finances 2024 illustre un travers fréquent des politiques fiscales tunisiennes : adopter les concepts internationaux sans leur donner de contenu réel. La « généralisation de la taxe carbone » se réduit ici à une série de micro-prélèvements sans effet sur les comportements écologiques et économiques.

Pour que la taxe carbone devienne un levier crédible de transition, elle doit être pensée comme un outil intégré : incitatif, transparent et juste. Elle ne sera efficace que dans un système où être respectueux de l’environnement permet aussi d’être compétitif. Sinon, elle ne restera qu’un impôt de plus sans réel impact sur la transformation écologique recherchée.

 

N.B. : L’opinion émise dans cette tribune n’engage que son auteur. Elle est l’expression d’un point de vue personnel.

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