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Gouvernements africains et agroécologie : un tournant à saisir !

Amadou Kanouté : Agroécologie en Afrique : la clé pour nourrir les générations futures

Amadou Kanouté : Agroécologie en Afrique : la clé pour nourrir les générations futures

Aujourd’hui, nous avons l’honneur d’accueillir Amadou Kanouté, une figure engagée de l’agroécologie en Afrique. En tant que directeur exécutif de CICODEV Africa et membre du conseil d’administration de l’AFSA, il joue un rôle clé dans la promotion de pratiques agricoles durables et dans la lutte pour la souveraineté alimentaire sur le continent.

La fondatrice de Cosmos Media a eu l’opportunité unique de le rencontrer à Dakar, dans le cadre d’une formation dédiée aux journalistes africains sur l’agroécologie. Ensemble, ils vont explorer l’importance de l’agroécologie pour garantir une alimentation saine, souveraine et respectueuse de l’environnement en Afrique.

Interview par Mabrouka Kheir -Dakar -Senégal- Cosmos Media

Q : Est-ce qu’on est fort au niveau de l’agriculture durable en Afrique ? Est-ce qu’on est solidaire et pourra-t-on résister au changement climatique mais aussi à ce réseau international d’une agriculture qui ne respecte pas l’environnement ?
R : Oui. Tout simplement, quand je regarde de manière historique l’évolution du discours sur l’agroécologie qui avait été ridiculisée en ses débuts, où les gens avaient dit « ça ne marche pas, c’est une agriculture traditionnelle » alors qu’on a des moyens modernes. À chaque fois que ce discours prenait de l’ampleur, des phénomènes naturels comme les changements climatiques, les inondations, les sécheresses ont obligé les tenants de ce discours à le revisiter. Aujourd’hui, c’est la FAO, qui auparavant faisait la promotion de l’agriculture conventionnelle, qui dans son dernier rapport 2023 reconnaît la place de l’agroécologie et l’agriculture durable dans le maintien et l’équilibre des systèmes politiques, agricoles et alimentaires.

Q : Que dit la science aujourd’hui sur les solutions pour lutter contre les changements climatiques ?
R : La science, désormais reconnue par tous, dit que pour lutter contre les changements climatiques, il nous faut recourir à l’une des solutions qui est l’agroécologie. Par exemple, si les températures continuent à augmenter jusqu’à 2 degrés d’ici 2050, la production alimentaire en Afrique subsaharienne baissera de 40%, tandis que la population augmentera de 50%. Voilà l’enjeu : la famine, comment nourrir toutes ces bouches quand la production alimentaire diminue et la population augmente ? Cela n’est pas possible autrement. La science recommande donc l’agroécologie, car elle favorise la mise en commun de l’arboriculture, de l’agriculture, de l’élevage et des arbres qui capturent les gaz à effet de serre via la photosynthèse. C’est pour cela qu’on appelle les forêts des puits de carbone.

Q : L’agroécologie peut-elle vraiment nourrir le monde ?
R : Il faut déconstruire les mythes et stéréotypes qui minimisent son impact. L’agriculture familiale, qui est principalement agroécologique, produit déjà 60% de ce que nous consommons, souvent sans bénéficier de tout l’appui qu’elle devrait avoir des pouvoirs publics et partenaires. Si on lui donne les moyens, elle peut dépasser 60%. Même les pays développés tiennent ce même langage aujourd’hui, et font un retour vers ces idées.

Q : Comment expliquez-vous ce retour et quels alliés ont-ils eus ?
R : Il y a deux ans, au sommet Dakar 2 pour la souveraineté alimentaire, un chef d’État européen, Michael Higgins, président de l’Irlande, a dit aux chefs d’État africains de ne pas prendre la même voie que les pays développés qui les a menés à l’impasse. Il leur a conseillé d’opter pour l’agroécologie. L’Afrique a 60% des terres arables du monde, la jeunesse, des fleuves, des rivières, et la main d’œuvre. Pourtant, aujourd’hui, la richesse fuit les zones rurales, poussant les jeunes à partir vers l’Europe. L’homme suit la richesse, c’est naturel.

Q : Comment en est-on arrivé à cette situation où la richesse fuit les zones rurales ?
R : Jusqu’aux années 80, après les indépendances, nos gouvernements investissaient beaucoup dans l’agriculture avec des subventions. Puis sont arrivées les politiques d’ajustement structurel imposées par la Banque mondiale et le FMI, qui ont demandé aux États de se retirer des secteurs productifs comme l’agriculture, la santé et l’éducation, laissant cela au secteur privé. Sous cette pression, les États ont désubventionné l’agriculture, arrêtant les structures d’accompagnement paysan mises en place après les indépendances. L’agriculture paysanne a décliné, au profit du privé – les multinationales qui ont acheté ou loué des terres en Afrique pour produire pour l’export.

Q : Quel impact cela a-t-il eu sur les semences et le chômage ?
R : On a dévalorisé les semences indigènes, les semences paysannes. Pendant presque 20 ans, de 1960 aux années 80-90, c’était ce type de semences que nos paysans utilisaient. Mais les institutions internationales ont demandé aux États de se retirer de la production, distribution et encadrement des semences. Elles ont promu les semences génétiquement modifiées dites certifiées, selon leurs critères, comme les « climate smart seeds ». Ces semences s’utilisent une fois, l’année suivante il faut en racheter parce qu’elles deviennent stériles. Les paysans, eux, pouvaient utiliser une part de leur récolte pour la replanter, ce qui n’est plus possible.

Q : Comment décrivez-vous les semences paysannes ?
R : Elles ont un rôle économique, social et culturel. Dans beaucoup de nos cultures, la dot donnée lors du mariage comprenait des semences symbolisant la vie et la reproduction. Imaginez qu’on vous dise aujourd’hui que ces semences sont stériles après une production, que vous devez les racheter chaque année. C’est un clash entre un modèle économique agraire, qui représente la vie, et l’agro-industrie qui impose des semences homogénéisées et stériles, nécessitant pesticides et protections.

Q : Quel est votre regard sur la conscience des gouvernements africains concernant l’agroécologie et la souveraineté alimentaire ?
R : C’est une question d’inquiétude. Comment ont-ils pu accepter que les institutions internationales leur demandent de se retirer de l’agriculture ? Comment ont-ils pu renoncer à leur engagement envers leurs populations auxquelles ils avaient promis alimentation, soins et éducation ? Entre les années 80 et 2010, ce fut ce langage-là. Ce n’est qu’à partir des années 2020 qu’ils ont commencé à changer de discours, reconnaissant aujourd’hui l’importance du capital humain, en santé, nutrition et éducation.

Amadou Kanouté: Directeur Exécutif de CICODEV Africa

Q : La crise de la COVID-19 a-t-elle eu un impact sur ces questions ?
R : Oui, la COVID a donné une gifle aux gouvernements en leurs montrant qu’ils doivent compter d’abord sur eux-mêmes pour se nourrir. La libéralisation du commerce a aussi globalisé les risques sanitaires. Les pays fournisseurs ont constitué des stocks pour leur population avant d’aider les autres continents. Cela rappelle que la souveraineté alimentaire est indispensable.

Q : Pensez-vous que l’Afrique peut s’unir pour atteindre cette souveraineté alimentaire et résister aux pressions internationales ?
R : Oui, je suis optimiste. L’évolution des idées et du discours est palpable. Nous devons nous battre pour cette souveraineté.

Q : Quel est le rôle des journalistes dans ce combat pour l’agroécologie en Afrique ?
R : Nous ne cherchons pas à faire des journalistes des militants, mais à leur permettre d’entendre un autre discours que le discours dominant dans la collecte de l’information. Sinon, ils diffuseront des informations erronées ou déséquilibrées. Il existe une autre lecture des réalités sur le terrain que celles des conférences internationales, organisées par des forces aux analyses différentes de celles des paysans.Notre travail avec les journalistes est de démontrer qu’une autre lecture est possible. Tant que le récit est fait par le chasseur, on n’entendra qu’une version. Si le lion pouvait aussi raconter sa version, la vérité serait plus objective.

Q : Quel est le message final que vous souhaitez transmettre ?
R : Il faut comprendre que derrière le discours dominant, il y a des enjeux de souveraineté alimentaire et de durabilité de notre modèle agricole. C’est à travers cette prise de conscience collective que nous pourrons défendre un modèle responsable, durable et juste.

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