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Les déchets : une responsabilité partagée entre Etat central, collectivités et citoyens

La question des déchets impacte tellement de manière concrète et brutale le quotidien des citoyens sur l’ensemble du territoire qu’ils n’ont pas besoin d’avoir accès à des chiffres officiels et actuels pour exprimer leur mécontentement et dresser un diagnostic alarmant de la situation.

Mais s’ils partagent la même perception négative du problème des déchets, quand il s’agit de déterminer qui en est la cause et à qui revient la responsabilité de le régler, les avis divergent.

D’une manière générale, 6 tunisiens sur 10 se déclarent insatisfaits quant au rendement des communes par rapport à la lutte contre la pollution et à la mise en œuvre de nouveaux projets ayant un impact positif sur l’environnement. Alors que la moitié des sondés jugent insatisfaisant tout le processus de gestion des déchets du rassemblement au transport jusqu’au traitement des déchets.

Ainsi, 37.2% des sondés considèrent que le problème des déchets est directement causé par un manquement des autorités locales à leurs obligations (26,3%) et au manque de moyens dont elles disposent en termes de collecte et stockage (10.9%). Un constat sans appel et que l’on retrouve fondé quand on sait que moins de 10% des déchets municipaux sont compostés ou recyclés et que l’ensemble du territoire n’est couvert que par une dizaine de décharges publiques contrôlées.

Pour prévenir ce type de situation, le code des collectivités locales a consacré plusieurs dispositions pour renforcer les prérogatives des communes et des régions en matière de gestion des déchets.

Le Code des Collectivités Locales définit d’abord la municipalité comme étant « une collectivité locale dotée de la personnalité juridique, de l’indépendance financière, gérant les affaires locales en vertu du principe de libre arbitre et œuvrant à développer la zone d’un point de vue économique, social, culturel, environnemental et urbain et d’améliorer les services à destination des citoyens. » Le Conseil Municipal qui forme l’organe suprême au sein de la municipalité du fait de son élection directe par les citoyens, doit obligatoirement former des commissions dont plusieurs aborderont des questions à forte teneur environnementale telles que les commissions « de la propreté, de la santé et de l’environnement publics, la commission « des travaux et aménagement urbains et la commission des affaires administratives et des services ».

Dans les municipalités qui se seront dotées d’arrondissements municipaux, ces derniers seront en charge entre autres choses de « proposer [au conseil dont ils dépendent] des programmes annuels relatifs à la propreté, à la protection de l’environnement et seront en charge du suivi de leur application. »

L’innovation première du CCL est de doter les communes de plus de compétences propres qu’elles exercent seules de manière exclusive, de compétences partagées avec les autorités centrales et de compétences transférées par l’Etat aux communes. Les compétences propres des communes sont liées directement aux services et aux équipements de proximité. L’environnement occupe une place importante et privilégiée parmi ces compétences.

En effet, le Code des Collectivités Locales  prévoit dans son article 226 que le « Conseil Municipal est en charge de la gestion des affaires municipales et de prendre les décisions nécessaires qui y sont relatives ; et ce particulièrement concernant […] le classement des biens publics propriétés de la municipalité, y compris les rues, les places publiques, les espaces verts et autres. »

Le Code ajoute que «  Le conseil municipal est responsable de la création et de la gestion des services publics municipaux notamment: […]

L’aménagement des jardins, des vues, espaces verts, l’embellissement des villes, et l’enlèvement de tout phénomène et origine de pollution sur la voie publique […]

la collecte des déchets non ménagers, leur tri le cas échéant et leur dépôt dans les décharges contrôlées […]

la prévention de la santé, de l’hygiène et de la protection de l’environnement et l’adoption de réglementations nécessaires. […]»

Les compétences partagées avec l’autorité centrale semblent également avoir été repensées particulièrement au regard de la complexité de la protection de l’environnement. Ainsi ces compétences partagées ont été définies comme étant entre autres : « La réalisation d’infrastructures à portée sociale, sportive, culturelle touristique et environnementale, […] telles que les parcs, décharges contrôlées et les centres de traitement des déchets ; La création des parcs naturels et leur entretien ; La réalisation de réseaux de traitement des eaux et leur entretien. »

Pareilles dispositions visant clairement la collecte et le tri des déchets n’étaient prévues par la loi organique des communes (1975). C’est dire l’ampleur du phénomène qui s’est imposé comme une réalité devant être réglementée par la loi en mettant les municipalités devant leurs responsabilités.

Les clauses générales pour prévenir la pollution ou pour interdire de jeter tout ce qui serait de nature à préjudicier aux passants (article 81 loi organique des communes 1975) se sont avéré être insuffisantes pour faire face à ce problème.

Le Code des Collectivités Locales cite les compétences du président du conseil municipal en matière de police environnementale qui ne se démarquent pas des dispositions de la loi organique des communes. D’après l’article 254 le maire doit assurer la règlementation relative à la protection de l’environnement à l’intérieur de tout le périmètre communal, y compris le domaine public de l’Etat. Cette réglementation aura pour objet d’assurer la tranquillité, la salubrité publique et la sauvegarde d’un cadre de vie paisible qui garantit la sécurité, la dignité, l’esthétique, la préservation d’un environnement sain. Les mesures de police porteront en particulier sur :

Le nettoyage, … l’enlèvement des obstacles, la démolition ou la réparation des édifices menaçant ruine … l’interdiction de jeter tout ce qui serait de nature à préjudicier aux passants ou à produire de mauvaises odeurs, et l’interdiction de jeter les déchets solides, liquides et gazeux,

La répression des infractions relatives aux constructions, l’occupation illégale du domaine, et la protection du public des dangers des chantiers et des travaux publics, la démolition et l’entretien des immeubles menaçant ruine ordonnés par le président de la commune sur la base d’une expertise préparée par un expert désigné par le tribunal compétent,

Toutes les mesures tendant à prévenir les atteintes à la tranquillité publique, dont notamment la pollution provenant des établissements industriels, professionnels et commerciaux sis dans le périmètre communal

Les mesures nécessaires à la préservation de l’esthétique urbaine des artères, places, routes et espaces publics et privés dans le respect des spécificités urbaines, historiques et environnementales de la commune.

Ce qu’il faut retenir à ce niveau, est que la commune ne sera pas le seul échelon de collectivité locale à jouer un rôle important en matière environnementale. La région comme une nouvelle collectivité locale à part entière aura également d’importantes prérogatives en la matière. D’après les articles 289 et 290 du CCL, la région aura la charge de gérer et de réaliser différents services, équipements publics à caractère régional relatif essentiellement à l’environnement, à la culture, au sport et à la jeunesse.   Les régions seront aussi responsables des opérations urbaines relatives à la protection des spécificités du patrimoine culturel local et à sa mise en valeur ainsi que la préservation des zones naturelles et archéologiques et de leur valorisation d’un point de vue culturel et économique.

C’est principalement le ministère des Affaires Locales et de l’Environnement qui aura l’obligation de soutenir les efforts des collectivités locales pour atteindre l’objectif ultime d’élimination des déchets. Ainsi, dans le cadre de la gestion budgétaire par objectifs le ministère a mis en place un programme intitulé « Environnement et qualité de vie » avec une enveloppe budgétaire qui s’élève à 184 617,5 MD (prévisions 2017) . Ce programme comporte trois sous programmes dont deux qui ont attrait à la question des déchets : « Prévention et qualité de vie » et « prévention et limitation de la pollution ». Plusieurs  établissements publics et entreprises publiques sont impliquées dans la mise en œuvre de ce programme dont l’Office National de l’Assainissement , l’Agence Nationale de Gestion des Déchets , l’Agence de Protection et d’Aménagement du Littoral et enfin l’Agence Nationale de Protection de l’Environnement. 

Plusieurs mesures à l’échelle centrale ont été entreprises en matière de gestion des déchets, l’on citera les plus importantes :

La mise en place d’un programme nationale visant la gestion des déchets solides (1993)

L’adoption de la loi n° 96-41 du 10 juin 1996, relative aux déchets et au contrôle de leur gestion et de leur élimination ayant pour objectifs :

la prévention et la réduction de la production des déchets et de leur nocivité notamment en agissant au niveau de la fabrication et de la distribution des produits

 la valorisation des déchets par la réutilisation, le recyclage et toutes autres actions visant la récupération des matériaux réutilisables et leur utilisation comme source d’énergie

la réservation de décharges contrôlées pour le dépôt des déchets ultimes

La création de  l’Agence nationale de gestion des déchets pour accompagner et soutenir les efforts des communes en la matière (2005).

L’adoption en 2006 d’une stratégie nationale de gestion intégrée et durable des déchets (2007-2016). Les objectifs de cette stratégie : Réduction des quantités de déchets ; Traitement des déchets ; Amélioration du cadre institutionnel, réglementaire et financier de la gestion des déchets ;  Renforcement de la communication, de la concertation et de la sensibilisation ; et suivi minutieux des statistiques et informations en matière de gestion des déchets

D’autres mesures actuelles ont été engagées en ce sens telles que :

La mise en place d’une police environnementale qui est devenue opérationnelle depuis juin 2017. Un corps créée par la loi n° 2016-30 du 5 avril 2016, modifiant et complétant la loi n° 2006-59 du 14 août 2006, relative à l’infraction aux règlements d’hygiène dans les zones relevant des collectivités locales. 

L’interdiction des sacs en plastiques dans les supermarchés (2017): L’interdiction intervient suite à une convention conclue entre le ministère de l’Environnement et la Chambre syndicale des grandes surfaces. Un premier pas vers une interdiction totale des sacs en plastique en Tunisie.

Toutes ces mesures aussi bien au niveau légal et réglementaire qu’au niveau institutionnel n’ont pas été effectives et suffisantes pour atteindre les objectifs recherchés.

Toutefois, si les autorités de l’Etat aussi bien locales que centrales sont responsables de ce constat chaotique, elles ne sont pas les seules coupables: un cinquième (20.5%) des sondés considèrent que les citoyens eux-mêmes sont les premiers responsables de l’aggravation de la situation du fait de l’absence de conscience relative aux dangers de la pollution urbaine et rurale et à une mentalité peu portée sur la protection de l’environnement.

Lorsqu’il s’agit de déterminer les responsables on retrouve cette quasi-unanimité autour de l’absence de conscience citoyenne et de mentalités : 84% des sondés sont d’accord pour dire que cela est une cause première de la pollution. 82% confirment également la thèse de la mauvaise gestion municipale des déchets. Plus intéressant encore, 75% considèrent que la classe politique délaisse le problème et nous rappelle de fait que la thématique n’est pas en une priorité des débats nationaux. Enfin, 70% des sondés sont d’accord sur le fait que la pollution est liée à la fois à la corruption et au manque de moyens.

Les sondés sont aussi conscients que le citoyen peut être une partie importante de la solution pour lutter contre la pollution en changeant plusieurs habitudes. Ainsi, à la question «  Quelles sont les deux mesures à prendre par le citoyen relative à l’environnement ? », près du tiers des sondés considèrent que le respect des règlementations relative aux jets des déchets et ordures est la première mesure à prendre. Alors que 19% estiment que le plus important est de s’abstenir de polluer l’eau avec des déchets (l’eau de mer, lacs et toutes autres sources d’eau).

Aucun responsable n’est à la hauteur 

Le sondage est revenu sur les responsabilités de chacun telles que perçues par les tunisiens. Et sans surprise ni les partis politiques (67.8% d’opinions défavorables), ni le gouvernement (63.8% d’opinions défavorables), ni même la société civile (seulement 48.4% d’opinion favorables) n’arrivent à convaincre.

Les efforts de lutte contre la pollution laissent une moyenne de toutes les régions à 64.9% de personnes insatisfaites. Les efforts de collecte des déchets ménagers ne convainquent même pas la moitié des sondés (53.4% d’insatisfaits). Seul le traitement des déchets industriels semble bien se porter avec seulement 38.2% d’insatisfaits.

Dans tout cela, les tunisiens déterminent que les responsabilités sont partagées quasi-également entre municipalités (29.5%), citoyens (28.8%) et gouvernement (26.2%). Cela montre que la Tunisie a plus que jamais besoin de l’activation de la stratégie nationale de gestion intégrée et durable des déchets (2006-2016) qui inclue tous les acteurs et fasse porter à chacun ses responsabilités. [21]Une stratégie qui intègre sensibilisation, accompagnement, révision du cadre légal et sanction et qui se fasse rapidement.

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